Une foule de questions

Dans l’épisode précédent : Explorateurs intrépides des grands espaces épistémologiques, nous entreprîmes de questionner les fondements de notre vision additive du monde.

ANTITHESE : Une foule de questions

Parfois, on peut être amenés à porter un regard interloqué sur les volutes élégantes d’une nuée d’oiseaux, d’un banc de poissons ou d’une colonie de fourmis. Si vos quotidiens rythmés laissent peu d’espace à la contemplation, prenez juste quelques minutes pour mentaliser cette dynamique. Ouvrez la porte à ce flux intérieur de déconvenues :

« Tiens, quelle écailleuse cohérence ! Les individus vont et viennent sans se percuter, le groupe plie mais ne rompt pas sous les assauts des barracudas »

« Elles étaient 2 puis 10 puis 1000 hirondelles à répondre à l’appel migratoire, sans même jouir de la commodité d’un évènement Facebook pour convenir d’un lieu ou d’une heure »

« Ça alors, dans le brouhaha des piaillements, ou le silence ichthyique, d’où peuvent ces cerveaux minuscules extraire de claires instructions ? »

« Mazette, cette société mandibulaire est-elle régie par des leaders autocratiques ou parvient-elle à enrober les individualités d’un supérieur dessein ? »

En biologie on parle en général « d’agrégation ». L’évolution a conservé ces structures collectives car elles procurent un avantage sélectif dans le contexte de chaque espèce (efficacité de la nage ou du vol, perturbation des prédateurs, probabilité de détection de nourriture, mutualisation des ressources …).

Les individus adhèrent à l’agrégation, au prix de degrés de liberté consacrés à interagir avec les semblables qui l’entourent, selon des codes partagés de façon a priori homogène. Par exemple, des oies vont adopter une formation de vol en V et s’aligner sur une vitesse de croisière qui convient à tous les individus. Ceci n’est peut-être pas la solution de voyage la plus rapide pour les individus capables d’aller vite, mais elle génère des positions aérodynamiquement favorables au sein de la formation permettant de dépenser moins d’énergie que sur un trajet en solitaire.

La condition nécessaire à l’apparition de ces niveaux d’organisation est la disposition (native ou acquise) des individus à réagir à des stimulis très spécifiques au collectif, dans des situations bien différentes d’une carrière solo. Par exemple l’oiseau sur sa branche bénéficie d’un point de vue clair et peut se déplacer avec une liberté qu’il n’a pas dans la nuée, où son prochain battement d’aile est dicté par la position et la vitesse de ses voisins.

Nous voici à nouveau confrontés à de bêtes additions, avec pourtant envie d’hésiter sur le résultat :
1 maquereau + 1 maquereau = 2 maquereaux ou 1 banc ?
1 étourneau + 1 étourneau = 2 étourneaux ou 1 murmuration ? (oui, on dit comme ça, je l’ai découvert aussi)
1 abeille + 1 abeille = 2 abeilles ou 1 ruche ?

(…)

Il semble en tout cas qu’ici le « + » n’agisse pas aussi simplement qu’on pouvait a priori le penser. Plutôt que simplement cumuler les unités, il forge une entité supplémentaire avec ses propriétés propres : le groupe.

Le thème des comportements de groupe est un sujet vaste qui peut être abordé sous les prismes de la recherche opérationnelle, de l’informatique, de la psychologie, de la sociologie… Mehdi Moussaïd est chercheur à l’institut Max Planck de Berlin. Spécialiste de l’étude du comportement des foules, il observe ou simule ces phénomènes de masses pour en décrypter les règles. Il présente les principes et enjeux de comprendre ce qu’il nomme la « Fouloscopie » sur sa chaîne youtube du même nom.

Ethologie, physique et psychologie des foules | EPISODE #3 – Fouloscopie

Et vous, quel animal social êtes-vous ? Suite et fin dans un prochain article…