Pensons nos organisations

Dans l’épisode précédent : Observateurs interloqués des sociétés animales, nous fîmes vaciller les axiomes de l’ajout à l’appui d’exemples à plumes et écailles.

SYNTHESE : Pensons nos organisations

Personnellement, les circonstances de la vie m’amènent peu à interagir avec des étourneaux ou des criquets. Ce qui est sympa c’est que les comportements de groupe se révèlent également chez des animaux grégaires avec lesquels il est nécessaire de composer à titre plus régulier : les membres d’une équipe projet. Mettons-nous à l’épreuve une dernière fois sur ce cas :

Un expert + Un expert = ?
(plusieurs réponses possibles)
A) Deux montagnes de connaissances de part et d’autre d’un fossé d’incompréhension
B) Plus de questions à la fin de la discussion qu’au début
C) Deux zexperts
D) Une équipe

Comment prendre en compte les particularités du « + » lorsque les sujets sont encore plus émotionnellement complexes que des sardines ? Ma métaphore mathématique est rongée jusqu’à l’os… mais la problématique prend toutefois la même forme : que doit-on comprendre de ce qui relie les individus au sein d’un groupe avant de bénéficier des avantages du collectif ?

Lorsqu’une tâche implique des opérations successives de plusieurs individus mais que le résultat ne saurait être atteint par les individus seuls, même avec plus de temps ou de ressources, on observe une réelle « performance de groupe ». Quelle est par ailleurs la définition d’un projet ? Mettre en œuvre des moyens en vue d’une fin : on parle bien des mêmes choses.

Les travaux du Pr. Anita Williams Woolley de l’université Carnegie Mellon à Pittspurgh, chercheuse et spécialiste en comportement des organisations, s’attachent à mettre en évidence les facteurs qui déterminent la performance de groupe. Elle a découvert que ceux-ci ne sont pas ceux auxquels on pourrait s’attendre, ce qu’elle expose dans l’article :
Woolley, Anita & Chabris, Christopher & Pentland, Alex & Hashmi, Nada & Malone, Thomas. (2010). Evidence of a Collective Intelligence Factor in the Performance of Human Groups. Science (New York, N.Y.). 330. 686-8. 10.1126/science.1193147. https://www.researchgate.net/publication/47369848_Evidence_of_a_Collective_Intelligence_Factor_in_the_Performance_of_Human_Groups

Quels types de facteurs pourraient rentrer en compte dans la capacité d’un groupe à « bien fonctionner » ? Nous pouvons identifier :
– Les facteurs individuels : parcours, préférences, rémunérations, personnalités, rythmes, goût du risque, sensibilités intellectuelles, prosocialité
– Les facteurs structurels : l’organisation, les circuits de communication, les processus, les temps de synchronisation
– Les facteurs fédérateurs : les expériences de groupe, les référentiels, le langage « officiel », les valeurs, les objectifs, les enjeux
Le Pr. Woolley a mobilisé pour deux études 699 participants, répartis en groupes de deux à cinq personnes, chaque groupe étant affecté à une variété de tâches. Celles-ci ont été définies afin de représenter chaque « objectif de groupe » (les cadrants) du Circumplex des Tâches de McGrath (une taxonomie bien établie de tâches collectives basée sur les processus de coordination qu’elles exigent).
Parmi tous les facteurs, elle met en évidence un facteur général d’intelligence collective « facteur c » qui explique la performance de certains groupes sur une large variété de tâches. Elle démontre que ce « facteur c » n’est pas fortement corrélé à l’intelligence moyenne ou maximale des individus composant le groupe mais est corrélé à la sensibilité sociale moyenne des membres du groupe, à la répartition égalitaire des interventions dans les conversations, et à la proportion de femmes dans le groupe.
Etonnamment, la cohésion de groupe, la motivation ou la satisfaction des individus ne se sont pas révélés parmi les composantes du « facteur c ». Gardons en tête que l’étude recherche les causes du succès du groupe, sans explorer les notions de plaisir à l’œuvre ou d’accomplissement des individus qui sont par ailleurs essentielles et loin d’être incompatibles au vu de ce qui compose ce « facteur c ».

Pour conclure nous comprenons qu’ « additionner » des compétences n’est pas anodin. Cela demande de penser les interfaces entre les membres d’un groupe. Ne pas laisser cette composante de la performance organisationnelle au hasard, c’est être attentif à la notion d’intelligence collective. Construire des organisations à l’écoute des besoins des individus et des enjeux d’un projet, c’est ce que fait AXONE.

PS
Notons que la pensée systémique est un également un dénominateur commun des disciplines qui s’intéressent aux comportements de groupes, fédérées sous la bannière des sciences de la complexité. La très complète « Carte des Sciences de la Complexité » présente les efforts déployés depuis le milieu du XXè siècle pour appréhender des concepts tels que ce phénomène d’émergence que nous venons de décrire. Inscrite sur la trame de 5 traditions intellectuelles, la multitude de domaines techniques parmi lesquels de plus en plus s’immiscent dans nos quotidiens révèle la fertilité et la pertinence de cette exploration.
2021 Map of the Complexity Sciences – Brian Castellani & Lasse Gerrits
https://www.art-sciencefactory.com/complexity-map_feb09.html