Le mythe de la bienveillance

Nous venons d’entrer dans l’ère de la bienveillance !

Comme si nous étions tous des tortionnaires et que nos relations étaient toutes basées sur le conflit et la domination…

Mais pourquoi parle-t-on maintenant de cette sacro-sainte bienveillance, alors que tout être capable de sentiment en a forcément quelques onces en lui et cela depuis la nuit des temps ? On parle aujourd’hui de « comment être bienveillant » dans le cadre familial, dans le cadre privé entre amis, dans le cadre professionnel… On ne l’était pas avant ?

Je me suis posé la question : Pourquoi devons-nous marqueter la bienveillance pour en parler ou pour qu’elle soit prise en compte dans nos relations ?

Personnellement, je ne sais pas si je suis quelqu’un de bienveillant, mais si comme je le pense je le suis « normalement » ça ne date pas d’il y a un an ou deux. Je ne me suis pas réveillé après la lecture d’un article sur Linkedin ou en découvrant que les générations X, Y ou Z ont besoin d’autres choses que d’un avenir professionnel de besogneux.

Pour illustrer le propos qui va suivre, je vais me permettre une simple allégorie :

Alors que je bricolais, je tentais de planter un clou pour accrocher un cadre au mur de la chambre de ma fille, ma main droite tenait le marteau et la gauche le clou.

Malheureusement, la main droite, par manque de précision a laissé le marteau taper le pouce.

Immédiatement la main droite a lâché le marteau et a pris le pouce gauche dans ses doigts pour le protéger, consoler et prendre soin de lui dans ce moment douloureux.

Si on se place du point de vue du corps, la main droite aurait pu faire comme si de rien n’était ou comme si elle n’était pas responsable. Elle aurait pu dire que c’était pour toutes les autres fois où la main gauche avait fait souffrir la main droite ! Elle aurait pu dire « ce n’est pas grave c’est une main gauche, elle n’est pas comme moi »… Elle aurait pu dire que c’est toujours elle qui amène le savon dans l’autre main alors que l’inverse ne se passe jamais…

Mais non… La main droite sait naturellement qu’elle appartient à quelque chose de plus grand qu’elle, tout comme la main gauche… Qu’à elles deux, elles constituent un ensemble qui fait partie d’un tout. Ce tout, c’est moi et celui qui permet de préserver ce moi, c’est mon cerveau. Il sait rappeler aux mains que quand l’effort d’une seule est trop difficile ou « prend son courage à deux mains »… C’est lui qui sait rappeler que dans l’adversité, l’une des mains peut protéger pendant que l’autre attaque. Il se souvient que l’une sans l’autre ne peut applaudir quand on déborde de bonheur. Il sait aussi que sans cette main qui tient la main de ma fille, mon autre main, qui tient la main de ma femme, ne procurera pas le même sentiment de bonheur. 

Ainsi on peut dire que les deux mains sont, comme nous tous, unies dans une communauté de destins. Mais ce qu’il faut retenir de cette allégorie, c’est le fait que les mains, les humains et même les animaux ont besoin d’un élément fédérateur, de quelque chose ou de quelqu’un qui incarne cette « unité ».

On vient de parler de bienveillance, de soutien et d’unité, mais comme nous venons de constater que, sans incarnation, la bienveillance ne dure qu’un temps.  Mais comment incarner la bienveillance pour qu’elle se matérialise au-delà des mots ?

De tout temps, l’homme a eu besoin de croire pour avancer. Les religions, quoi qu’on en dise, sont basées sur la même mécanique que les mythes de l’antiquité et elles ne diffèrent pas des mythes modernes : Elles ont toutes un « héro ». Hercule, Jésus, Bouddha, Brigitte Bardot ont incarné un mythe. Je vous le concède, certains sont plus glorieux que d’autres…

Quel que soit le mythe, la mécanique est toujours la même :

Une histoire plus ou moins onirique, une population qui s’y intéresse ou qui a envie d’y croire et un héros pour l’incarner.

Le prérequis de base, c’est l’histoire et il faut qu’elle soit belle ou qu’elle soit porteuse d’espoir. Si l’assistance à envie d’y croire, alors c’est très bien parti. Mais ce sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Pour que l’écho du mythe dure dans le temps, il faut un héros qui l’incarne, un personnage à qui associer le mythe et en qui on peut placer ses espoirs ou ses désirs, à défaut de s’identifier à lui.

Si l’histoire est belle, sans héros, c’est une fable. Elle pourra durer dans le temps mais elle ne créera jamais autant de passion et d’engouement qu’une histoire bien incarnée auquel cas elle deviendra un mythe. C’est vrai ?… Le corbeau et le renard sont sympas, mais franchement, j’ai plus envie de suivre Achile dans ses aventures qu’un simple goupil vicelard qui pique un volatile orgueilleux même si dans le fond la morale est bonne…

Mais revenons à nos héros et notre bienveillance… Mon propos est donc qu’il faut incarner cette bienveillance. Il faut donc trouver le héros… Dans notre monde moderne, dans notre monde professionnel, nul besoin d’avoir le bouclier de Captain América, l’armure de Tony Stark ou les pectoraux de Dwayne Johnson car notre héro ne devra pas nettoyer les écuries d’Augias d’un revers du petit orteil. De nos jours, dans la société, il faut quelqu’un à qui s’identifier ou en qui avoir confiance au quotidien. Pas une personne déshumanisée insomniaque dont le QI a été testé au-delà des 150. Quelqu’un de normal, qui sait simplifier les choses, les rendre abordables, quelqu’un de rassurant. Alors pourquoi rester dans de vieux schémas caricaturaux ?

Elle est passée cette ère de la réussite par l’effort et par le travail qui a poussé l’homme vers une exemplarité presque martiale. L’image du patriarche au bout de la table, attendant qu’on le serve, et oubliant de se préoccuper de ceux qui l’entourent tant il est préoccupé par ses responsabilités a vécu. Cette caricature de manager le sait ! On lui a dit, c’est par le travail que la réussite arrive, et c’est par le travail qu’on peut s’acheter tout ce qui nous rend heureux et qui rendra heureux notre famille. Alors l’exemplarité, c’est d’être dur au mal, de ne jamais montrer de faiblesse, de toujours savoir répondre et si possible de ne jamais avoir fondamentalement tort.

Alors oui, je grossis le trait mais pour qu’on en arrive à mettre en avant la bienveillance qui est selon moi une qualité intrinsèque dans la nature humaine il y a un souci, non ? Elle existe peut-être cette caricature, non ?

 

A moins que ce soit simplement dû au fait qu’on ne nomme pas les bons « héros » pour porter les bonnes histoires ?…