L’architecte, l’ingénieur et le projet…
Pour vous parler de ce thème, il y a une phrase importante que vous devez connaître : « J’ai construit ma maison, je sais donc construire une installation nucléaire ! … »
Au travers de ce teasing faussement prétentieux, je cherche juste à attirer votre regard critique sur l’approche industrielle de nos grands projets.
Mais comme j’ai osé commencer mon propos en évoquant la construction de ma maison, allons jusqu’au bout de la simplification et je suis certain qu’on va retomber sur le titre de mon article…
Quand j’ai entrepris de construire ma maison, je me suis interrogé sur la bonne solution, le bon montage :
- Prendre un architecte/maître d’œuvre pour tout lui confier (conception, réalisation) et lui faire porter toute la responsabilité des problèmes potentiels ?
- Prendre un architecte pour la conception/le suivi et laisser l’expertise aux corps d’état dans la conception/réalisation
- Tenter de tout maîtriser en faisant tout moi-même, en pilotant les corps d’état après avoir eu le simple « tampon » de l’architecte pour déposer le permis ?
J’étais un peu perdu… Comme cela devenait compliqué, et qu’on m’a appris à simplifier, j’ai posé mon bonnet de réflexion et j’ai pris du recul. Je me suis remis en question et je me suis dit que j’avais peut-être des à priori qui brouillaient ma perception des choses. J’ai donc entamé des discussions avec toutes les parties « potentiellement » prenantes du projet pour me faire un avis.
Dès les premiers échanges, je me suis rapidement aperçu que chacun tirait la couverture à soi et je ne suis pas arrivé à faire un choix. Problématique non ?… Cela dit, j’avais avancé car au milieu de ce brouhaha, j’ai réalisé que quelle que soit la solution envisagée elle n’aurait pas été bonne pour ma famille et moi. Alors, j’ai décidé de devenir l’« architecte d’ensemble » de mon projet.
Non pas l’architecte technique, je n’en avais pas les compétences, mais bien l’architecte « fonctionnel ». J’avais déjà les meilleures compétences pour faire cela :
- J’étais la personne la plus impliquée de toute (il fallait que je réponde au besoin de famille pour les années à venir…),
- Je savais me projeter à plus de 10 ans dans ce projet (mon crédit allait bien au-delà de la garantie décennale des entreprises…),
- J’étais directement dépendant des délais et des retards potentiels puisque j’allais subir de ma poche les conséquences
- Et je tenais les cordons de la bourse qui n’était autre que la mienne…
Mais comme je ne suis ni architecte, ni expert dans les disciplines nécessaires à la construction de ma maison, j’étais dépendant de toutes les parties prenantes de mon beau projet. J’ai donc choisi, non pas celles qui m’étaient recommandées ou qui avaient pignon sur rue, mais celles qui m’ont semblées capables … Celles qui sauraient se mettre à ma place, se remettre en question et comprendre mon besoin. Alors oui… Elles étaient parfois plus chères que la concurrence. Oui… Elles ne m’ont pas toujours annoncé les délais que je voulais entendre… Mais même si ce qu’elles m’annonçaient ne me plaisait pas, elles me disaient la vérité et me permettaient de faire ce qui est le plus important dans tous les projets : elles m’ont permis de gérer les compromis…
Elles ne cachaient pas les problèmes et elles n’arrivaient pas forcément à les gommer mais elles me permettaient déjà de les anticiper… En gros, mon chantier ne partait pas pour être un long fleuve tranquille (je ne m’y attendais pas…) mais les partenaires que j’avais choisis allaient me permettre de me reconfigurer, de revoir (sans faire de révolution) mes approches.
Mais tout ne s’arrêtait pas là ! Le projet lancé, chaque semaine, je faisais mes analyses d’impact fonctionnel/financier comme si ma vie en dépendait pour ne pas avoir de mauvaise surprise. A chaque évolution j’ai dû arbitrer des choix. En cours de projet, le fait d’allouer mon budget destiné au départ à la domotique, dans une charpente apparente couteuse, a tout changé dans la pièce principale. Dans les faits, pour moi, c’était plus important d’investir dans cette belle charpente couvrant les 60M2 de ma pièce de vie plutôt que d’avoir des volets qui se ferment depuis mon téléphone alors que je suis assis sur mon canapé à 3m de l’interrupteur général. C’est un choix discutable mais puisque je devais financièrement le faire…
Dans cette grande pièce, je n’ai pas une batterie d’interrupteurs pour créer les ambiances… Certain aime la complexité, moi j’aime la simplicité et l’efficience. J’ai en tout et pour tout six interrupteurs, trois doubles plus précisément. Cela a été possible car j’avais porté une réflexion sur « comment souhaitions-nous être éclairés ? » en fonction de « comment allions-nous vivre ?» dans ce salon. J’avais projeté la place de la télé, j’ai anticipé les reflets des ouvertures, l’endroit où nous allions diner quotidiennement et comment mes amis allaient venir s’accouder au grand plan de travail faisant le lien convivial entre l’espace de vie et la cuisine pour nos nombreux apéros… J’ai porté cette réflexion sur chaque sous-ensemble (sous système) car chacun devait avoir sa fonction propre et par voie de conséquence son lot d’exigences.
Aujourd’hui, quand mes amis viennent chez nous, ils me disent : « On est bien dans cette maison ! il y a peu de perte de surface car les circulations sont réduites au strict nécessaire. La gestion des volumes, la cohérence d’ensemble est top. Elle est jolie et simple à vivre cette maison. Elle a vraiment été bien pensée, c’est qui ton architecte ? ». Et je réponds en m’amusant : « laisse tomber, il est trop cher… ».
Tout cela, personne n’aurait pu le faire aussi bien que moi malgré mes énormes lacunes techniques. J’ai pu le faire parce que je me suis projeté loin et que je n’ai jamais perdu de vue la déclinaison des exigences de mon besoin. J’ai priorisé/hiérarchisé ; j’ai identifié les parties prenantes, ce que je devais attendre d’elles et quand ; j’ai géré les interfaces entre les corps d’état, la banque, les aspects règlementaires et normatifs, et j’ai accepté d’être agile/ouvert d’esprit pour faire évoluer la configuration de ma maison. Et par-dessus tout, j’ai accepté les compromis (je n’avais pas le choix…).
Difficile de répondre… Il y en a eu un d’architecte certes mais il n’a rien construit seul. Ce ne sont pas non plus les ingénieurs du bureau d’étude béton, des fluides ou de l’électricité qui ont permis ce résultat. Ce n’est même pas moi non plus car sans eux je n’aurais rien pu faire.
Avec le recul, ce que je peux dire en revanche c’est que j’ai réussi trois choses qui pour moi sont primordiales dans chaque projet qu’il soit industriel, personnel, amoureux ou social :
- J’ai écouté les besoins (de ma famille et les miens),
- Je me suis remis en question et j’ai pris un risque,
- Et j’ai su m’entourer de ceux qui étaient en capacité d’écouter.
Que ce soit pour un projet personnel ou pour un projet industriel, je continue à penser que ce sont les trois clefs de la réussite…
Alors est-ce que maintenant je pourrais diriger un grand projet industriel ? Certainement pas mais j’ai découvert que seul on ne fait rien, même quand on a le point de vu de l’Architecte.
Je pense que le monde industriel dans le domaine du nucléaire doit se réconcilier avec ses manques. Ma vision va paraître un peu trop « romantique » mais je pense que l’avenir de nos grands projets passe par la capacité qu’auront les MOA et les MOE à travailler ensemble. L’un sans l’autre, sans un partage des savoirs et des points de vue, cela restera difficile de gérer les compromis…