FOH dans l’industrie nucléaire – Mythe ou réalité ?

L’industrie nucléaire civile française n’est pas réellement née « from scratch ». Elle est un héritage d’une ingénierie américaine et des efforts de la Nation consentis pour son implémentation dans la Défense Nationale. De brillants ingénieurs, formés au bon sens, ont œuvré dans un contexte d’exigences peu formalisées et d’outils d’ingénierie d’une puissance sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui.

Après plus de 30 ans d’exploitation, le constat à l’échelle mondiale montre que finalement, la vision française de la conception et de l’exploitation des REP est à la hauteur des enjeux de sûreté. Aucun événement majeur de sûreté n’est à déplorer alors que sur cette période, les américains ont vécu Three Miles Island, les russes Tchernobyl et les japonais Fukushima. Pour autant, la vigilance et l’humilité doivent rester la règle.

En effet, les exigences de sûreté se sont enrichies des retours d’expérience mondiaux. D’une industrie jeune dans les années 70, elle est devenue une industrie où les préoccupations deviennent le vieillissement des installations, l’obsolescence des équipements, la perte des compétences (départs en retraite, non maîtrise des processus d’ingénierie, non capitalisation des savoir-faire), le traitement des déchets et le démantèlement. Ces préoccupations correspondent en premier lieu à de la gestion humaine soit dans la capitalisation des savoir-faire (Knowledge Management) soit dans les décisions managériales à promouvoir ces thématiques dans les projets et organisations.

L’ingénierie système semble avoir conquis les directions pour retrouver de la rigueur et de la traçabilité. Des outils informatiques de plus en plus performants permettent de soutenir cette volonté et de (re)capitaliser peu ou prou les savoir-faire (rétro-ingénierie formalisée). Cette volonté de réécrire l’histoire de l’existant en essayant d’insérer les pistes d’optimisation est prégnante, mais quelle est la part du facteur humain ?

Dans les années 70, les facteurs organisationnels et humains n’étaient pas reconnus comme une spécialité « utile » . Si j’osais, je dirais que les ingénieurs étaient suffisamment brillants pour s’en passer. Pour autant, des lois et arrêtés se sont succédés en France (TSN, INB du 7/02/12) en mettant l’accent sur le besoin de mieux maîtriser les facteurs organisationnels et humains. Le principe fondamental en sûreté, qui vise à constamment s’améliorer, est recherché. L’objectif est de mieux maîtriser le traitement de petits événements qui commencent, au fil du temps, à poser des questions de maîtrise de la sûreté. Non pas que ces événements n’existaient pas auparavant, mais ils n’étaient simplement pas mesurés ni évalués.

Chaque industriel ou exploitant a donc défini ses méthodes, ses processus, son système de management de la qualité pour intégrer ce métier au mieux, dans la conception et l’exploitation, en les adaptant parfois à des contextes particuliers (démantèlement). Avec les années, force est de constater que, finalement, peu d’industriels conçoivent avec une vision Human-Centered-Design comme le dise les anglosaxons et peu d’exploitants sont aussi transparents qu’il le faudrait dans les analyses d’événements tant les enjeux politiques, médiatiques et financiers sont grands.

Il est cependant très important de faire les choses comme il faut. Mais il faut aussi reconnaître que la transparence totale est tout autant nuisible que l’analyse d’un événement tronqué. Il est souvent difficile d’accepter pour un exploitant de dévoiler la réalité d’une défaillance humaine car on touche à son professionnalisme, à sa crédibilité voire à sa légitimité.

C’est bien ce paradoxe qu’il faut mettre en lumière. L’Homme (ou plutôt l’utilisateur) est insuffisamment considéré dans la conception d’un système complexe, alors même, que la complexité augmente avec l’évolution technologique qui devrait, normalement, en faciliter son exploitation. L’utilisateur se retrouve très éloigné de la connaissance du procédé qu’il exploite. Il apprend à gérer une interface système et non plus le procédé lui-même. C’est ainsi qu’il voit grossir la documentation d’exploitation qui devient de plus en plus prescriptive. Comment faire confiance à quelqu’un qui se transforme peu à peu en « presse-bouton » et qui réagit à un stimulus qu’il ne comprend pas (messages et alarmes inadaptés, hiérarchisation des alarmes souvent absente…) ?

L’Ingénierie Système, avec l’approche anthropocentrée, est la seule voie possible de réponse en conception pour les systèmes complexes.

En exploitation, c’est la sûreté intégrée, avec la maîtrise de la culture de sûreté, qui doit permettre de répondre aux enjeux. Ceci ne sera possible qu’avec l’objectif d’honnêteté managériale nécessaire et adéquate. Mais ce n’est pas suffisant. Pour que la culture de sûreté puisse vivre et avoir une action favorable, il faut être en mesure de garantir un climat de sûreté. Le climat de sûreté rassemble toutes les notions sociales du travail. C’est une dimension autre de la prise en compte des facteurs humains, il s’agit de facteurs sociaux organisationnels et humains.

Il faut redonner de la confiance en l’homme, redonner du sens à son activité, en clair, du bon sens. En effet, s’il peut commettre des erreurs ou des malveillances, c’est aussi celui qui récupère les situations critiques lorsque tout a dysfonctionné et c’est lui qui doit en assumer les conséquences.

Seul l’approche factuelle peut rendre à l’homme sa place dans le système. La meilleure approche factuelle, mesurable et traçable reste celle du suivi du cycle de vie d’une installation, de sa conception à son démantèlement, par l’ingénierie système anthropocentrée.

Cette maturité n’existe pas sur les installations existantes et les volontés nouvelles ne font qu’une partie du chemin (hormis dans la défense). L’avenir devra reconsidérer ce point très important car au-delà de la sûreté, c’est l’implication et la motivation des exploitants qui seront mises à mal et les conséquences pourraient s’avérer coûteuses.