Plus de sûreté nucléaire dans nos vies
Exit les débats de société. Nous ne parlerons pas ici de sûreté des installations nucléaires, ni du bienfondé de la poursuite de l’exploitation du parc nucléaire, ni des risques inhérents à l’utilisation de matériel radioactif. Beaucoup a déjà été écrit, de manière bien plus détaillée que je ne pourrais le faire.
Mon objectif ici est de parler de sûreté nucléaire en tant que discipline. Et comment la définir ?
Bien évidemment, chacun des travailleurs du nucléaire, selon son intervention dans le cycle de vie des installations, aura une définition et un point de vue différent. Le mien est principalement celui du bureau d’étude, et un peu celui des chantiers de construction neuve. La sûreté s’apparente pour moi beaucoup à des exercices théoriques, des analyses de risques, des calculs, des dossiers réglementaires (assez peu digestes) au sein desquels chaque mot a son importance et dont la rédaction semble parfois interminable. Elle se rattache également au suivi de dispositions, écrites parfois plusieurs années en amont, afin de s’assurer que les équipements que nous installons ou testons respectent strictement (parfois aux limites de l’absurde) leurs prescriptions, et, presque plus important, que nous puissions le documenter.
J’aime à croire que tout ce travail, s’il est bien fait, permettra, aux futurs exploitants, maintenanciers, démanteleurs, de travailler en toute sûreté.
Si on leur demandait ce qu’est pour eux la sûreté, nul doute que leur réponse serait tout à fait différente. Une mauvaise maîtrise de la sûreté dans leurs métiers peut impliquer une mise en danger sérieuse pour eux-mêmes, leurs collègues, voire le public et l’environnement.
Pour empêcher tout cela, de nombreuses dispositions réglementaires sont mises en place : multiplication des documents et dossiers, relectures, doubles relectures, commissions, vérification exhaustive de tous les certificats de tous les équipements utilisés, tests et essais en usine (répétés sur site), contrôle technique de chaque geste associé à une activité concernée par la qualité de réalisation, etc… Pour ne parler que des domaines que je connais. En exploitation ou démantèlement, les opérations les moins irradiantes pour le personnel sont systématiquement recherchées, les tâches répétées avant l’entrée en zone (les pre-job briefing ; pardon pour l’anglicisme), parfois même réalisées sur maquette auparavant.
L’ensemble de ces dispositions, réglementaires, permet de garantir autant que possible la sûreté de nos installations. Mais elles n’en restent pas moins des dispositions réglementaires.
Si nous acceptons cette surveillance systématique, cette lourdeur documentaire et une importante inertie dans les projets, c’est parce que nous avons tous compris les risques si nous dérogeons à ces contraintes. Nous considérons tous unanimement que les conséquences d’un accident, même mineur ou localisé, seraient inacceptables.
Afin de travailler sereinement dans ce contexte, il me semble que certaines compétences non-techniques sont nécessaires : humilité, remise en question, capacité à douter.
Ces trois aptitudes semblent équivalentes, mais il existe des nuances qui me semblent importantes, et que je vais essayer d’illustrer.
L’humilité, c’est accepter qu’on ne connaisse pas tout sur tout, et surtout accepter de le montrer. La sûreté nucléaire est à l’interface de toutes les disciplines pouvant intervenir sur un projet, et nul ne peut être omniscient.
La remise en question, c’est s’interroger constamment sur ce que nous faisons. Suis-je suffisamment formé pour effectuer ce geste ? Mes outils sont-ils les bons ? Aurai-je assez de temps ?
Le doute, c’est ce 6e sens qui nous alarme lorsque nous ne somme plus sûrs. C’est l’incertitude que l’on ressent, quand, arrivé sur un lieu d’intervention, on n’est plus sûr de devoir tourner la vanne de gauche, ou celle de droite. C’est cette hésitation que l’on sent dans la voix de notre interlocuteur tandis que ses mots nous assurent qu’il est certain de ce qu’il nous dit. Prendre le temps de vérifier une information vaudra toujours la peine qu’on se donnera.
Et pourquoi pas dans notre quotidien ?
Si nous sommes capables de ce recul, et que nous avons appris à développer ces compétences, qui ne sont pas innées, c’est parce que, comme rappelé plus haut, les risques encourus sont considérés (et à juste titre) comme inacceptables.
Et si chacun, nous nous posions la question de ce qui est vraiment important pour nous, de ce qui nous semble inacceptable ? Pourquoi ne pourrions-nous pas utiliser ces compétences dans nos vies personnelles ; alors que même dans un milieu où la technique semble prédominante, nous avons vu qu’elles sont indispensables ?
Et si nous remettions tous en cause nos certitudes ? Si nous acceptions de montrer que nous ne savons pas ? Et si, dans un monde où nous sommes inondés d’informations, où les titres des articles sont souvent plus importants que le fond, nous prenions le temps de remettre en question nos raisonnements à chaud, bien qu’ils soient souvent réconfortants à nos yeux. Et si nous nous permettions de douter de ce qu’on nous affirme, de ce qu’on nous impose comme une vérité irréfutable, quand bien même le propos est séduisant ?
La beauté de cet exercice est qu’il est applicable à tous les sujets : le changement climatique, les bénéfices de la mobilité électrique, la politique économique française et européenne, le temps de cuisson de l’œuf mollet ou les méthodes d’éducation des jeunes enfants… Créez-vous votre propre liste.
Bon, je suis sûr que comme moi, vous n’avez rien à changer, car bien sûr nous maîtrisons à la perfection ces « soft skills » qui sont tant à la mode.
Cependant, cette dernière année nous propose un terrain de jeu parfait pour nous tester.
N’avez-vous jamais dit : « Nan mais c’est juste une petite grippe, on ne sera jamais touchés ici en France ! » ?
N’avez-vous jamais affirmé : « J’ai un pote qui a son cousin, ou son oncle, qui connaît un député : on va être confinés vendredi prochain, c’est sûr ! » ?
N’avez-vous jamais repris quelqu’un s’indignant de l’inutilité des masques en lui disant « mais si, c’est parce que ça arrête les gouttelettes », sans vraiment connaître la différence entre un gaz, une gouttelette, un aérosol ?
Qu’on se rassure, notre cerveau est très bien fait, à travers de nombreux biais cognitifs, pour nous faire agir ainsi. Et c’est justement pour cela qu’il faut intégrer activement l’humilité, le doute et la remise en question à notre quotidien.
Si après cet exercice, vous êtes confiant quant à votre capacité de maîtriser ces compétences non techniques, alors n’hésitez pas à consulter nos offres d’emploi, nous serons heureux de vous accueillir chez Axone. Et si vous en doutez, postulez quand même ! 😉